A l'institut Pasteur de Lille, un financement européen a permis le recrutement d'étudiants en thèse pour mieux appréhender le système immunitaire. Le projet Capstone. Ben He, un étudiant chinois, fait partie des rares thésards sélectionnés par le programme. Il travaille sur une nouvelle façon de soigner le cancer.
Hervé Rabillé, Charlotte Mauger et Camille Lin
Une longue veste élégante posée sur ses épaules traduit son goût du détail. Il se tient droit sur sa chaise, un regard timide dérobé derrière ses lunettes et une mèche rebelle de sa chevelure ébène.. Il n’aime pas être le sujet de la conversation. Pourtant, son profil n’est pas anodin. Ben He est un étudiant en doctorat à l’Institut Pasteur de Lille ; il a été choisi par le sélectif projet Casptone.
Booster la recherche sur le cancer
Financé par l’Union Européenne, le programme Capstone a permis le recrutement de 15 étudiants internationaux pour des thèses en Europe. La thématique de recherche du programme est la compréhension du dialogue entre les cellules du corps et le système immunitaire. Celui-ci joue un rôle dans les maladies auto-immunes et le cancer.
Originaire de Chine, Ben He fait partie des trois thésards de l’Institut Pasteur de Lille qui ont bénéficié de ce programme. Chaque étudiant est spécialisé dans une discipline : chimie médicale, biologie cellulaire, bioinformatique… Capstone permet aux étudiants d'acquérir suffisamment de connaissances dans tous les autres champs disciplinaires couverts par le programme. « Collaborer est simple, décrit Ben pour Labo&Cie, Capstone facilite notre compréhension grâce à des rencontres et des cours. » De cette manière, ils et elles sont tous et toutes des scientifiques aptes à travailler sur des sujets hautement pluridisciplinaires. Une discipline pose quand même problème à l’étudiant : le français. Avec une touche d’humour, il lance : « la Science est plus facile que le français ! »
Pour étudier plus en détail le système immunitaire et ses failles, Ben He a choisi de venir en France. « J’ai trouvé le projet Capstone sur le site de l’Union Européenne. C’était une bonne opportunité », déclare-t-il. Depuis 2015, Ben He étudiait le design et la synthèse de molécules à activité thérapeutique à l’Université de Nottingham. En 2019, il entame un projet visant à synthétiser de manière artificielle de l'artémisinine, un antipaludéen, au sein de l’équipe de Martyn Poliakoff. Mais la crise du Covid-19 a « coupé court de nombreux projets » de recherche. Le Brexit n’a fait qu’aggraver cette situation : « Ce n’était pas une bonne idée de rester en Grande Bretagne », conclut-il. En septembre 2021, il rejoint l’équipe de l’Institut Pasteur pour débuter sa thèse.
Une signalétique cellulaire
Pour comprendre ce que Ben He étudie pendant sa thèse, il faut étudier de plus prêt le fonctionnement cellulaire. Chaque cellule du corps fabrique un signal pour montrer au système immunitaire qu’elle en fait bien partie. Ceci est permis grâce à des protéines bien spécifiques : les ERAP.
Ben compare ce mécanisme à une sorte de « permis de conduire » qui autorise une cellule à mener sa vie, ou non, dans l’organisme. Pour fabriquer son « laissez passer », la cellule découpe les ERAP en petits morceaux. Ces nouvelles protéines, plus courtes, agissent comme des antigènes, reconnus par le système immunitaire. Il devient ainsi capable de détecter les cellules « défectueuses » dans le corps, et de les attaquer pour les empêcher de proliférer.
Ce système peut s’enrayer. Dans les cellules cancéreuses, les protéines ERAP sont extrêmement actives, cela a pour effet paradoxal de rendre le « complexe d’urgence » inopérant, car saturé. Le système immunitaire ne reconnaît plus les cellules cancéreuses et les détruit. Des mutations sur les protéines ERAP de l’être humain sont ainsi associées à la survenue de certains cancers, et sont aussi liées à certaines maladies auto-immunes comme les maladies rhumatologiques.
Vers de nouvelles thérapies
Son sujet s’inscrit pleinement dans l’un des champs thématique du laboratoire de Rebecca Deprez, puisqu’il s’agit d'identifier des « petits modulateurs » de l’activité des ERAP, pour ainsi limiter le développement du cancer. Il s'agit de petites molécules qui vont venir se coller à un point donné de la protéine ERAP et modifier légèrement sa forme… et donc son activité.
Selon le jeune étudiant en thèse, l’utilisation de ces petits modulateurs présenterait plusieurs avantages par rapport aux traitements chimiothérapeutiques actuels. Ces traitements novateurs à base d’inhibiteurs des ERAP aideraient le corps à combattre les cellules cancéreuses par ses propres moyens. Ils auraient aussi l’avantage d’être beaucoup plus spécifiques, n’affectant qu’un mécanisme cellulaire bien précis, et très précoce, du développement cancéreux. Ainsi, cette forme de thérapie innovante entraînerait beaucoup moins d’effets secondaires que la chimiothérapie. Cette dernière consiste principalement à bloquer la division cellulaire pour ralentir la multiplication des cellules tumorales. Dans ce cas, les produits utilisés agissent de manière aveugle : ils touchent à la fois les cellules cancéreuses et les cellules saines !
Et après ?
Si les thématiques auxquelles Ben s’attaquent sont centrales pour l’avenir, son avenir à lui n’est pas tracé par avance. Après sa thèse, il ne sait pas encore s’il poursuivra son chemin dans le monde de la recherche. « Je suis payé pour faire de la recherche, pas pour faire des découvertes. » Après quelques mois dans ce monde, il en a déjà identifié les difficultés, notamment la peur de n’aboutir à rien, même si, il le concède : « une absence de résultat… est un résultat ! »
Comentários