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Le soja européen, vraie indépendance ?

Dernière mise à jour : 16 mai 2022

Une étude publiée le 7 avril 2022 révèle que l’Europe pourrait produire tout le soja dont elle a besoin sur son territoire, même dans le scénario extrême de réchauffement global de la planète à 5°C. Cette orientation agricole est-elle souhaitable ?


Marie Nidiau, Mathilde Picard et Sophie Vanel


© Pixabay


Bientôt du soja 100 % local ? Le 07 avril 2022, une étude publiée dans la revue Nature food a révélé que l’Europe a la capacité d’être autosuffisante en soja. Les scientifiques se sont appuyés sur des bases de données agronomiques mondiales. Ils les ont couplées à des données climatiques afin de modéliser le rendement en soja selon deux scénarios : un monde réchauffé à 2,2°C et à 5°C.


D’après les résultats, les surfaces agricoles européennes favorables à la culture de soja sont beaucoup plus élevées que la superficie récoltée actuellement. Les projections indiquent un rendement moyen de 2 tonnes par hectare sous les conditions climatiques actuelles et une augmentation de +0,4 à +0,6 tonne par hectare en 2050 et 2090. D’après des chercheurs de l’Institut National de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et d’AgroParisTech, si le vieux continent consacre 4 à 11 % de ces terres cultivées à cette légumineuse, il pourrait atteindre 50% à 100% d’autosuffisance. Un rendement en accord avec la préconisation du Conseil économique social et environnemental de mettre en place un Plan protéines européen convergeant vers l’objectif de réduire les importations de soja.


Une réduction de 13 à 17% des engrais azotés


Cette indépendance permettrait de diminuer la pollution associée à l’importation de soja et la déforestation importée. Actuellement, 90 % du soja consommé en Europe est originaire des Etats-Unis et d’Amérique du Sud. Les normes sont également différentes outre-Atlantique : “L’énorme majorité du soja est OGM et Round up ready donc résistant au glyphosate” note Nicolas Guilpart, agronome à l’INRAE et auteur de l’étude. Dans le cadre de la révision en cours de la Politique agricole commune (PAC), la culture massive de soja en Europe offrirait aussi de nombreux autres avantages. “ Les légumineuses fixent l’azote de l’atmosphère pour l’utiliser grâce à une symbiose avec des bactéries au niveau des racines”. Ce processus naturel pourrait réduire l’utilisation d’engrais azotés de 13 à 17% dans le cadre d’une autonomie totale. “Quand on récolte le soja, les restes d’azote enrichissent le sol et permettent de réduire la quantité d’engrais pour la culture d’après” ajoute l’agronome. Un double bénéfice économique et environnemental.


Un avantage d’autant plus précieux que les prix des engrais azotés utilisés dans les grandes cultures n’ont cessé d’augmenter à la suite de l’invasion de l’Ukraine qui en est un grand exportateur. La flambée des prix des énergies fossiles et notamment du gaz, indispensables à la production des intrants de synthèse, ont également participé à cette inflation.

Alors pourquoi produire si peu de soja en Europe s’il représente de nombreux bénéfices ? Il faut remonter à la fin de la Seconde Guerre mondiale. A l’époque, des accords commerciaux entre l’Europe et les Etats-Unis lancent les fondations d’une spécialisation des cultures. L’Europe produit des céréales fortement subventionnées, tandis que les plantes riches en protéines sont cultivées de l’autre côté de l’Atlantique et importées sans taxe sur notre continent.

« C’est compliqué de sortir d’une spécialisation des cultures, explique Nicolas Guilpart. Si l’on n’a pas fait de soja pendant trente ans, on est moins compétitif car on est en retard d’un point de vue technique. Mais le soja est tout de même très cultivé à l’échelle mondiale, donc on le connaît bien ». Des connaissances agronomiques qui permettraient de faciliter une potentielle transition vers une autosuffisance dans la production de soja.


« La vraie problématique est de diminuer notre consommation en soja »


L’étude de l’INRAE ne surprend pas Mathieu Courgeau, président du collectif Pour une autre PAC et éleveur bovin en Vendée. « Dans les fermes, c’est un sujet dont on entend beaucoup parler, c’est un enjeu important de l’évolution de l’agriculture que de diminuer notre dépendance au soja. »


Réduire la dépendance par du soja européen certes mais cette étude “prend le problème à l’envers” selon l’agriculteur. « La vraie problématique est de diminuer notre consommation en soja. » L’Europe importe 30 millions de tonnes de soja. Afin de diminuer cette consommation, c’est toute l’industrie de l’élevage qui est à repenser. Aujourd’hui, en élevage intensif, les animaux sont nourris avec des tourteaux de soja pour leur apport en protéines. Une des solutions pour diminuer cette consommation serait de les laisser en extérieur dans les prairies, réservoirs protéiques importants.


L’autre problématique du soja européen reste l’organisation de la filière. « Aujourd’hui, l’argent va essentiellement aux grandes exploitations et pas assez aux nouvelles pratiques agricoles. Il faut un signal politique fort pour changer », insiste Mathieu Courgeau.


Enfin, la dernière interrogation concerne les cultures à remplacer pour implanter le soja. « La surface agricole n’augmente pas en Europe, si tout le soja remplace du blé par exemple, cela implique une diminution de 15% des surfaces en blé, ce qui est impossible », précise Nicolas Guilpart. Ce seront donc les agriculteurs qui décideront eux-mêmes de la part à accorder à la culture de soja au profit d’une autre, selon les rendements attendus. Ce soja pour les animaux pourrait donc remplacer d’autres céréales à destination de la consommation humaine. Ce dernier point révèle l’ombre qui se cache derrière le tableau, celle de la surconsommation de produits d’origine animale.

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