Dans le dernier rapport décennal commandité par la Nasa sur l’étude des systèmes planétaires publié le 19 avril 2022, Uranus est annoncée comme l’objectif numéro un. L’agence spatiale américaine envisage d’envoyer une sonde en direction de la planète glacée dans les dix prochaines années. Une première depuis 1986.
Évrard-Ouicem Eljaouhari, Pierre Lalanne, Charlotte Mauger
Septième planète la plus éloignée du Soleil, la géante glacée Uranus n’a été approchée par aucune sonde spatiale depuis 1986. Une solitude qui prendra bientôt fin : Uranus vient d’être classée objectif numéro 1 des dix prochaines années par un groupe d’astrophysiciens mandaté par la Nasa. C’est ce qu’ils ont indiqué dans un rapport sur le futur des sciences planétaires publié mardi 19 avril 2022.
Si le rapport était attendu par la communauté spécialisée, ce projet à destination d’Uranus n’est pas une immense surprise. L’organisation d’une telle mission était en effet la troisième priorité du précédent rapport datant de 2011. Dix ans après, le bilan est très bon : les deux priorités de l’époque sont aujourd’hui soit en opération soit en cours de réalisation. Il s’agissait en effet du rover Perseverance, qui a atterrit sur le sol martien le 18 février 2021, et de la mission Europa Clipper, qui devrait être lancée en octobre 2024 vers la lune Europe de Jupiter. Maintenant qu’elle se trouve en haut de la liste des priorités, une mission vers Uranus a toutes les chances de se concrétiser.
Remonter aux origines du Système Solaire
Tristan Guillot, astrophysicien français ayant travaillé sur le rapport, estime d’ailleurs que c’est le bon moment car « il y a une fenêtre de lancement assez favorable autour des années 2030-2033 », détaille-t-il pour Labo&Cie. Certaines positions de Jupiter dans l’espace permettent en effet d’arriver plus facilement vers Uranus grâce à un effet de « fronde gravitationnelle », c’est-à-dire une trajectoire de la sonde qui profite de l’attraction de Jupiter pour accélérer le voyage. « La technologie est prête, et avec cette trajectoire qui nous amène plus vite au niveau d’Uranus, c’est facile d’y aller dans les 10 ans à venir », explique Thibault Cavalié, planétologue au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux.
L’enjeu scientifique est d’importance et pourrait, selon Tristan Guillot, « nous permettre de remonter aux étapes initiales de la formation du Système Solaire ». En effet, les planètes se sont toutes formées au sein d’un disque fait de gaz et de poussières. Mais les planètes trop petites comme la Terre ou Mars n’ont pas retenu ces gaz à cause de leur faible gravité. En revanche, les planètes plus massives comme Uranus, elles, l’ont pu. Connaître les gaz qui peuplent Uranus signifierait donc connaître ceux présents lors de la formation du Système Solaire.
De plus, « connaître la quantité d’eau qu’abrite Uranus nous permettra de comprendre comment la planète s’est formée », soutient Jérémy Leconte, chercheur au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux. « Sur Uranus, il fait globalement -200°C . La vapeur d'eau est complètement absente car gelée. La vapeur d’eau se retrouve en fait confinée aux couches profondes de l'atmosphère. On ne peut donc pas la voir depuis la Terre ».
Les réponses apportées par l’étude des propriétés physiques d’Uranus pourraient s’étendre bien au-delà de notre simple Système Solaire. Car la plupart des exoplanètes découvertes ont une masse comprise entre celle de la Terre et d'Uranus. Élucider les mouvements et la composition de l’atmosphère d’Uranus permettrait alors « d’inférer le comportement d'une grande partie des atmosphères des exoplanètes », précise Tristan Guillot.
Une planète à (re)découvrir
À ce jour, les caractéristiques magnétiques, gravitationnelles et atmosphériques d’Uranus restent peu connues. Pourtant, cette future mission ne sera pas la première exploration uranienne. En 1986, la sonde Voyager 2 avait survolé la géante glacée. « La sonde n’avait que quelques heures pour faire toutes les mesures (composition, température, dynamique des vents), et n’a pu prendre des photos que d’une seule facette des lunes », décrit Tristan Guillot.
Malgré les nombreux télescopes braqués sur la planète, les observations de la géante glacée depuis la Terre sont limitées. « Il n’est possible d’observer que l’hémisphère d’été d’Uranus, éclaire Jérémy Leconte. Le pôle d’hiver est opposé au Soleil, donc opposé à la Terre. » Comme une année dure 84 ans sur Uranus, il faut attendre quarante années pour observer l’autre face de cette planète lointaine.
Le chercheur annonce qu’avec la prochaine mission « on pourrait accéder à toutes les zones qu’on ne peut pas voir de la Terre ». Photographier des zones aujourd'hui hors d’atteinte, mais aussi réaliser davantage de mesures, notamment grâce à « un orbiteur qui resterait autour de la planète pendant 4 à 5 ans, ou peut-être plus », précise Tristan Guillot.
L’exploration se poursuivra dans les couches supérieures de la planète grâce à une sonde de pénétration atmosphérique : « Il s’agit d’un petit module qui va se décrocher juste avant l’arrivée en orbite et descendre dans l’atmosphère pour mesurer la température, la composition ou la vitesse des vents à l’intérieur du milieu qu’on veut étudier », explique-t-il. Un ultime outil que l’Agence spatiale européenne serait en mesure de fournir. Ainsi, ce voyage vers Uranus pourrait être l’occasion pour les agences américaines et européennes de travailler main dans la main, d’autant que la Nasa s’est déjà dite favorable à une collaboration.
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