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L’humain, un primate introspectif

Dernière mise à jour : 24 mai 2022

Chez l’être humain au repos, le cerveau reste actif. Des chercheurs observent cette vitalité dans des régions bien définies qui constituent "le réseau du mode par défaut", impliqué dans la réflexion. Ils découvrent que c'est aussi le cas chez les singes. Cependant, pour ces derniers l'activité est moins complexe. Une différence qui pourrait nous avoir donné un avantage évolutif.


Camille Lin et Hervé Rabillé


Un groupe de chercheurs français, américains et canadiens ont mis en évidence une particularité neurobiologique qui nous distingue des autres primates. Il s’agit d’une activité cérébrale complexe lorsque l’individu est au « repos », c’est-à-dire quand il n’effectue aucune tâche particulière tout en étant réveillé. Cet état cérébral de repos, appelé le « Réseau du mode par défaut » (RMD), aurait été acquis par nos ancêtres et leur aurait donné une meilleure capacité à se projeter dans le futur et à s'adapter à notre environnement. Cette activité se retrouve dans trois espèces de primates non-hominoïdes mais sous des formes moins complexes. L’étude, pilotée par le jeune chercheur Clément Garin, aujourd’hui à l’Université de Vanderbilt, aux États-Unis, a été publiée le 12 avril 2022 dans la revue Cell Reports.



Marmoset commun, une espèce de primate du nouveau monde (Amérique du Sud). © Leszek Leszczynski - Flickr, CC-BY 2.0


Contre toute intuition, même chez un individu au repos, le cerveau a une forte activité cérébrale. « La découverte de ce RMD avait été un peu une surprise, s’exclame le biologiste Marc Dhenain, auteur correspondant de l’étude et directeur de recherche au CEA. En plaçant des personnes ne “faisant rien” dans des appareils d’imagerie cérébrale, on s’est rendu compte que le cerveau était toujours très actif. Cette activité implique même des zones du cerveau relativement évoluées, alors qu’on se serait attendu à ce qu’il implique des fonctions plus primaires. »


Vagabondage de l’esprit

Le cerveau fonctionne avec différentes régions de neurones communiquant les unes les autres, interconnectées en réseaux. Ces réseaux sont à la base de fonctions cognitives, comme par exemple la vue. Le RMD permet un « vagabondage mental », comme le décrit Marc Dhenain, important dans notre cognition. Dans cet état, nos pensées peuvent, par exemple, s’orienter vers des souvenirs, et les analyser.


Une personne au repos se « repositionne » dans le monde, par la pensée. Cela lui permet de revivre et passer en revue des situations qu’il a dû traverser. Mais « ce n’est pas une introspection philosophique à travers laquelle on s’interroge sur le sens de la vie », précise Christine Bastin, neuropsychologue au centre de recherche du cyclotron (GIGA), à l’université de Liège. La fonction de base du RDM, c’est de penser à ce qu’il s’est passé pour pouvoir anticiper ce qu’il va venir. « Ça a à voir avec une certaine forme d’introspection, quand on pense à ce qu’on a prévu de faire soi-même dans le futur, à sa position vis-à-vis des autres personnes, à comment on interprète les états mentaux des autres – ce qu’on appelle la théorie de l’esprit », précise la chercheuse.


Présent aussi chez les animaux

À peine découvert chez l’être humain, les scientifiques se sont demandés si les animaux, eux-aussi, présentaient une telle activité lors du repos. Des données ont rapidement été obtenues chez plusieurs espèces. « Ce réseau existe aussi chez les autres primates, et même chez le chat ! » résume Christine Bastin. Aujourd’hui, il est relativement bien admis que les cerveaux des animaux moulinent eux aussi lorsqu’ils « ne font rien », et que des activités cognitives plus ou moins complexes y sont associées.

L’étude de Clément Garin et ses collaborateurs a précisément tenté de mieux comprendre la structure de ces réseaux chez nos proches cousins, et de les comparer au nôtre.


Une complexification croissante chez les primates

Ils ont étudié, par imagerie cérébrale par résonance magnétique, l’activité des cerveaux au « repos » d’un singe de l’ancien monde, le macaque rhésus (Macaca mulatta), d’un singe du Nouveau monde, le ouistiti microcèbe (Callithrix jacchus) et du lémurien souris (Microcebus murinus). Ces trois espèces recouvrent, avec l’être humain, une bonne partie de l’arbre phylogénétique des primates. Ainsi la représentation assez large de la diversité des réseaux actifs lors de l’état de repos et de son évolution au sein de cet ordre zoologique. Malgré des similitudes entre notre espèce et ces trois espèces de primates, le RMD de l’humain apparaît singulier.


Chez l’être humain, le RMD est structuré autour de deux régions : la première, situé juste derrière le front, est le cortex préfrontal médian (CPM). La seconde, est le cortex cingulaire postérieur (CCP). Elles agissent entre elles et traitent l'information. Le CPM manipule l’information et développe des fonctions cognitives supérieures. Le CCP, lui, est un véritable « hub », qui reçoit, trie et renvoie des informations de plein d’autres régions du cerveau. Il est comparable à « un aéroport, comme celui de New-York, qui reçoit des avions du monde entier avant de les réaiguiller vers d’autres régions du monde », décrit le neurobiologiste du CEA.


Chez les trois espèces de primates non-humanoïdes au repos, les chercheurs ont distingué deux types de réseaux, plus simples que le RMD de l’humain, mais incluant des régions cérébrales communes. « On a l’impression que le RMD de l’être humain est en fait la fusion de deux RMD plus simples, que l’on observe chez nos primates », conclut Marc Dhenain. Cette « fusion », dont le scénario évolutif reste à établir, a abouti à une connexion intime entre le cortex cingulaire postérieur (CCP) et le cortex cingulaire (CMP), conduisant au « vagabondage » de notre cerveau.


Saut évolutif

Même si, en l’état actuel des connaissances, on ne peut rien conclure de précis, il est tentant de faire l’hypothèse que cette complexification de notre RDM nous a offert un avantage adaptatif décisif. « Planifier quand on ne fait rien, c’est sans doute un avantage majeur, qui permet d’agir très vite quand l’événement opportun – celui anticipé par l’individu au repos – se présente », avance Marc Dhenin.


Pour situer plus précisément dans le temps le moment où s’est produit un tel saut, il faudrait pouvoir scanner l’activité de cerveaux au repos de grands singes humanoïdes – chimpanzés, bonobos, gorilles et orang-outangs. Mais « en France et aux USA, il est interdit de mener de ce genre d’étude pour des raisons éthiques », précise Marc Dhenain. Toutefois, vu la proximité de notre cerveau avec ceux des grands singes, les auteurs de l’étude supposent que le RDM de ces espèces est bien plus proche du nôtre que ceux des autres espèces de mammifères.


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